Monday, July 19, 2004

Encyclopédie : Histoire des juifs

juifs - Histoire des juifs
Peuple descendant des habitants de l'ancien royaume d'Israël et/ou membres de la communauté juive. Si le mot “Hébreux” désigne aujourd’hui les Juifs de l'Ancien Testament, celui de “Juif” apparaît à l'époque hellénistique (IVe-Ier s. av. J.-C.) et désigne la postérité des anciens Hébreux. Il convient de préciser que le mot "juifs" écrit sans capitale s'applique à ceux qui professent la religion judaïque ; on ne doit pas confondre "Israélien" (citoyen de l’État d'Israël) et "israélite" (de confession juive). “Israélite” (fils d'Israël) est parfois aussi le nom de l'habitant de l'ancien royaume d’Israël.

Les Hébreux

Les patriarches

Le récit biblique des premiers temps de l'humanité et d'Israël est contenu dans la Torah (le Pentateuque), les livres de Josué et des Juges. Après une première alliance entre Dieu et l'homme, à la suite du Déluge, c'est un descendant de Sem qui devient l'ancêtre d'Israël (ce fils de Noé donnera son nom aux Sémites). Abraham, homme juste et pieux, quitte son pays d'Ur en Chaldée et reçoit de Dieu une promesse qui s'accomplit à travers son fils Isaac et son petits-fils Jacob, lequel gagne le nom d'Israël : grâce au plus jeune des frères, Joseph, les douze enfants de Jacob peuvent s'établir en Égypte (Genèse). Le livre de l'Exode commence ensuite par le constat que, devenus "puissants", les Hébreux constituent une menace pour les Égyptiens, qui les oppriment pour la contenir. Les enfants d'Israël trouvent un défenseur en Moïse qui, avec l'aide de Dieu, les fait sortir d'Égypte. Une nouvelle alliance est symbolisée par le don des tables de la Loi, déposées dans l'Arche d'alliance, cœur du sanctuaire itinérant par lequel Dieu accompagne son peuple dans la traversée du désert, qui dure quarante ans. Moïse conduit ce peuple vers la terre "promise" de Canaan, conquise par Josué. Le territoire de Canaan est réparti entre onze tribus descendant des fils de Jacob, la douzième, celle de Lévi, étant "extraterritoriale", et la direction de cette fédération est assurée par des Juges.

Si la chronologie traditionnelle, reprenant certains chiffres de la Genèse, situe Abraham au XIXe et Moïse au XIIIe siècle avant notre ère, l'Histoire ne permet pas de confirmer ces dates. Les historiens considèrent que ce récit biblique est constitué par la fusion de légendes propres à des groupes humains établis en Palestine, sans doute proches par la langue.

L'hébreu est une langue proche de l'araméen, mais beaucoup plus localisée ; l'araméen a été une langue de communication dans tout le Proche-Orient, et on trouve dans le Deutéronome (26 ; 5) cette profession de foi : "Enfant d'Aram [ancêtre des Araméens], mon père était errant." Si l'hébreu est la langue dans laquelle la Bible a été écrite, et s'il fut à certains moments la langue nationale des Juifs, il semble que ceux-ci furent souvent bilingues, parfois même ignorants de l'hébreu. Le noyau de la Bible serait donc constitué des légendes propres à des tribus qui se seraient fédérées en deux groupes préfigurant les futurs royaumes d'Israël et de Juda (tardivement rattaché aux "douze tribus") ; une alliance politique, ou simplement tactique, contre leurs ennemis, sous la direction des Juges, a sans doute été accompagnée d'une communauté de croyances. Tous les témoignages (y compris celui de la Bible, qui déplore la vivacité du culte des "Baal") concordent à dire que les juifs furent aussi tentés par le polythéisme que leurs voisins. Leur histoire tout entière n'en est pas moins liée avec force à l'idée monothéiste et au combat qui a assuré son succès.

Les royaumes d'Israël et de Juda

L'expansion des Philistins depuis leur territoire de Gaza, incite le groupe des Israélites à se donner un roi (XIe s.) : les livres de Samuel et des Rois racontent l'histoire de Saül, auquel succède David, de la tribu de Juda, qui unifie les deux entités et s'empare de la ville de Jérusalem, dont il fait sa capitale, et auquel succède son fils Salomon (Xe s.) : cette brève période (70 ans) est restée dans la conscience juive comme l'âge d'or, le temps où Israël est une puissance régionale certes, mais "légitime" et fidèle à son Dieu ; Salomon se fait respecter de l'Égypte, de Tyr, du royaume arabe de Saba, et construit le Temple de Jérusalem, dans lequel est déposée l'Arche d'alliance. La Bible témoigne de cette grandeur, et attribue à des "dérives humaines", à un éloignement de Dieu, l'éclatement du royaume (931) qui, de fait, n'est que le retour à la situation antérieure : on distingue dès lors, au sud, le royaume de Juda (dont Jérusalem est la capitale) et, au nord, celui d'Israël (dont Samarie est la capitale), qui seront souvent opposés.

Le royaume d'Israël est plus grand et plus puissant que celui de Juda mais prend fin en 722, quand Samarie est prise par le roi assyrien Salmanasar V ; le royaume de Juda dure jusqu'en 587, date à laquelle le roi babylonien Nabuchodonosor s'empare de Jérusalem. Ces trois siècles sont aussi la période du prophétisme hébreu (Élie et Élisée, puis Amos et Osée pour Israël ; Isaïe, puis Jérémie et Ézéchiel pour Juda), qui témoigne d'une exigence religieuse (le monothéisme) et morale (la justice sociale) et intervient souvent pour déconseiller ce qui lui apparaît comme un aventurisme politique. Le royaume d'Israël donne naissance à la tradition samaritaine et s'effondre à cause d'un contentieux politico-religieux fratricide avec le royaume de Juda, qui ira en s'aggravant. La chute des deux capitales est suivie d'une déportation à Babylone des élites religieuses, politiques et techniques, qui marque le début de la première diaspora. Traditionnellement considéré comme ayant duré 70 ans, cet exil à Babylone s'achève en 538, date à laquelle le roi de PerseCyrus autorise les Juifs à retourner en Judée, qui demeure sous son autorité. Le Temple est restauré en 515 ; en 445, Néhémie, échanson juif du roi Artaxerxès, est envoyé à Jérusalem comme gouverneur : il y impose une réforme religieuse et sociale qui, après la réforme du roi de Juda Josias (622), ayant entraîné la désaffection des sanctuaires locaux, assure le triomphe du monothéisme officiel - de ce fait, on date souvent de l'activité de Néhémie, puis du prêtre Esdras en 398, la naissance du judaïsme et la rédaction du Pentateuque tel que nous le connaissons.

La période gréco-romaine

Le royaume de Juda, qui n'est guère que le territoire de la ville de Jérusalem et qui a toujours été dans une sphère d'influence "araméenne", subit ensuite le bouleversement de l'aventure d'Alexandre le Grand, macédonien qui a pris la tête des Grecs et se veut le successeur des rois de Perse : la Judée fait alors partie du monde hellénistique. Au IIIe siècle avant notre ère, elle est, comme les régions de Samarie et de Galilée, sous la domination des Lagides (les Ptolémées d'Égypte) ; en 198, elle passe sous la domination des Séleucides. La situation économique et politique incite nombre de Juifs à s'installer en Égypte : trois communautés juives existent, celle de Babylone, de langue araméenne et fidèle aux Séleucides ; celle d'Égypte, de langue grecque et fidèle aux Lagides ; et celle de Judée, de langue hébraïque. Cette dernière est politiquement et économiquement hellénisée, mais religieusement juive, et elle tire un profit économique de la prépondérance du Temple, auquel les Juifs se rendent en pèlerinage. C'est sans doute dès cette époque que, pour compenser la disparition des sanctuaires locaux, se généralise l'institution des synagogues, maisons d'étude et de prières prises en main par des rabbins (docteurs de la Loi) pharisiens. Alors que les Grecs (Hécatée d'Abdère, Théophraste) se font des juifs l'image de sages orientaux, les penseurs juifs (l'Ecclésiaste, l'Ecclésiastique) prennent leurs distances avec la sagesse grecque ; si le judaïsme ne semble guère tenter les païens, les Juifs de Palestine parviennent à maintenir l'unité avec la communauté égyptienne hellénophone en assurant la traduction grecque de la Bible (Septante).

Cet équilibre est brutalement rompu par la forte hellénisation à laquelle le roi juif Antiochos IV (Antiochos Épiphane), sans doute à l'instigation d'un parti "pro-helléniste", soumet la ville sainte en 167 : destiné à devenir un temple de Zeus, le Temple est profané (on y sacrifie des porcs), les coutumes juives (sabbat et circoncision) sont interdites, les pratiquants sont pourchassés. La révolte éclate, menée par la famille des Maccabées : Judas Maccabée reconquiert Jérusalem, purifie le Temple (164, origine de la fête de Hanoukka) et, pour lutter contre les Séleucides, fait appel aux Romains (161). Ses frères Jonathan et Simon rétablissent un État juif indépendant, instaurant la dynastie des Hasmonéens (142) : les dirigeants, portant le titre de grands prêtres puis de rois, se lancent dans une politique de conquête qui étend le territoire de la Judée à la Samarie (la capitale est détruite, ainsi que le temple de Sichem, en 128-127), à la Galilée et à l'Idumée (76). Ces succès n'empêchent pas une violente opposition religieuse : les sadducéens, parti des anciens prêtres, contestent le sacerdoce hasmonéen, que les esséniens refusent complètement ; les pharisiens, après avoir soutenu la nouvelle dynastie, s'opposent à l'hellénisation grandissante du pays. En 63 avant notre ère, une dispute dynastique entraîne l'intervention directe des Romains (Pompée), qui mettent à la tête de la Judée un Iduméen à peine judaïsé, Hérode : proclamé roi des juifs par le Sénat romain (37), il sait garder le soutien des Romains, éliminer sans pitié ceux qu'il soupçonne d'être ses opposants et apaiser les tensions religieuses, en dépit de l'hostilité des pharisiens ; il modernise le pays, aménage des forteresses comme Massada, et reconstruit le Temple de Jérusalem, tout en s'assurant le droit de nommer les grands prêtres.

C'est le fils d'Hérode, Hérode Antipas, qui est le Hérode des Évangiles : il règne de 4 av. à 39 apr. J.-C. C'est donc sous son règne que naît le christianisme, secte juive à l'origine mais rapidement devenue une religion concurrente du judaïsme, dont il reprend la composante universaliste. Depuis la révolte des Maccabées, la Judée est le théâtre d'une intense agitation religieuse, apocalyptique (livre de Daniel) et messianique : un des versants de cette activité est l'apparition de livres inspirés (Ecclésiaste). Ces livres (comme ceux des Maccabées), et les textes grecs du général et historien juif Flavius Josèphe, nous font connaître le judaïsme palestinien de l'époque. On estime à environ 8 ou 9 millions le nombre de Juifs dans le monde d'alors, dont 1 million en Égypte et 1 million dans l'empire parthe ; ces deux importantes communautés ne connaissent aucune agitation particulière alors qu'en Palestine la tension est croissante. La région passe sous l'autorité directe des Romains en 44 de notre ère. Vingt ans plus tard, une provocation religieuse déclenche la guerre des Juifs contre les Romains, qui dure de 66 à 70 (73 pour la chute de Massada). Sévèrement réprimée par Vespasien et par Titus, elle se termine par la destruction de Jérusalem et du Temple et voit le début de la seconde diaspora (second exil). En 132, la décision de construire sur les ruines de Jérusalem une ville païenne (Aelia Capitolina) déclenche la deuxième révolte juive. Son chef, Simon Bar Kosiba, est nommé Bar-Kokhba ("fils de l'Étoile", Nombres 24, 17) par certains rabbins, tel rabbi Akiba, qui veulent voir en lui le Messie. Il est battu en 135 : la répression est aussi terrible qu'en 70 et Jérusalem, devenue ville païenne, est interdite aux Juifs. Toutefois, peu après, l'empereur Antonin confirme que le judaïsme demeure religio licita ("religion autorisée") dans l'Empire romain.

Les Juifs dans la diaspora

Après 135, et pour dix-huit siècles, l'histoire des Juifs n'est plus liée à celle de la Judée : le Temple est détruit, le sacerdoce caduc, la capitale interdite. Il y a des communautés juives tout autour de la Méditerranée, et le judaïsme est solidement implanté àRome : plus méprisants qu'hostiles envers une religion dont les pratiques opiniâtres leur paraissent obscures, les intellectuels romains ne distinguent guère, dans un premier temps, entre les Juifs et les premiers chrétiens, alors que ces derniers attaquent souvent de front la civilisation en place. Durement persécuté, le christianisme n'en devient pas moins, au IVe siècle, la religion officielle de l'Empire : cette religion n'est guère tolérante, elle pourchasse férocement les hérétiques et ne manifeste guère de tendresse à l'égard de la religion mère qui, à ses yeux, a mis à mort son promoteur - la responsabilité du pouvoir romain dans l'exécution de Jésus apparaît presque nulle dans le Nouveau Testament.

Le judaïsme devient pharisien, accordant une grande importance à la Loi orale et à des prescriptions déduites du texte de la Bible, progressivement codifiées dans le Talmud. Une de ces prescriptions précise ce qu'est un Juif : on est Juif lorsque l'on est de mère juive ou lorsque l'on est converti - la conversion étant obligatoire pour qu'un enfant né de père juif seulement soit reconnu comme Juif (au siècle dernier, le judaïsme réformé, seul, a reconnu également la "patrilinéarité"). À supposer qu'il y ait eu une homogénéité ethnique dans l'ancien Israël, ce qui paraît peu vraisemblable, les Juifs ne sont pas seulement les descendants des anciens Judéens : bien que la chose soit mal connue, il ne fait aucun doute qu'à plusieurs époques il y a eu des conversions au judaïsme (par exemple chez les Khazars de la Russie orientale, vers les IXe-Xe s.).

On distingue traditionnellement un judaïsme ashkénaze et un judaïsme séfarade : il s'agit de deux noms de pays repris de la Bible et auxquels, au Moyen Âge, on a donné le sens d'Allemagne et d'Espagne ; par métonymie, les deux mots ont servi à distinguer le judaïsme occidental (les pays européens, sauf l'Espagne) et le judaïsme oriental (Espagne, Maghreb, Moyen-Orient), en fait beaucoup plus divers (il ne s'est, de fait, "séfaradisé" qu'après l'expulsion des Juifs d'Espagne) mais de moindre importance numérique. Il y a entre les deux communautés des différences de rituel, les ashkénazes ayant été influencés (via l'Italie) par les écoles palestiniennes, les séfarades ayant suivi les écoles babyloniennes : c'est ainsi que toutes les institutions rabbiniques sont actuellement "dédoublées" dans l'État d'Israël. Sans simplifier à l'excès une réalité complexe, on peut dire que les ashkénazes, ayant suivi un mouvement général d'occidentalisation, sont souvent plus "modernistes" (et moins pratiquants) que les séfarades.

Le judaïsme oriental

La mort de Théodose Ier, l'empereur qui fit du christianisme la religion officielle, marque le début de l'Empire byzantin (395) : la Palestine en faisait partie et reste sous sa juridiction jusqu'à l'arrivée des Arabes (en 634). Jérusalem (al-Quds, c'est-à-dire "la Sainte" en arabe) devient la troisième ville sainte de l'islam, et le calife Omar fait construire sur l'emplacement du Temple la mosquée Al-Aqsa. Le territoire passe sous la domination successive des Omeyyades, puis des Abbassides et des Seldjoukides : mais ces derniers doivent subir l'offensive des croisades (1099-1291), qui voient la prise de Jérusalem et le massacre de ses habitants, et l'instauration d'un royaume chrétien qui dure jusqu'en 1187. La Palestine est ensuite soumise au sultan d'Égypte Saladin et aux Mamelouks, avant de passer sous la juridiction des Ottomans (1517) ; elle est dominée directement par les pachas de Damas ou de Beyrouth, mais subit au XIXe siècle l'influence de l'Égypte. Entraînée dans l'aventure de l'expédition de Bonaparte, elle entre ensuite dans le jeu des colonialismes. Après la Première Guerre mondiale, elle devient un protectorat britannique (1923), le Royaume-Uni se déclarant officiellement favorable à l'instauration d'un "foyer national juif" (déclaration du ministre des affaires Étrangères, lord Balfour, en 1917). Ce n'est que progressivement que l'arrivée des Juifs se heurte au nationalisme arabe, qui se développe après la chute de l'Empire ottoman.

Les communautés juives de Palestine n'ont pas perdu leur importance : c'est à Yavneh (Jamnia) que, en 70, le rabbin Johanan ben Zakkai établit une académie dont le premier soin est de fixer un texte de la Bible lu jusqu'alors dans plusieurs recensions ; ce texte est aujourd'hui encore accompagné d'un appareil critique qui est celui dont l'ont muni les massorètes (docteurs ayant fixé le texte biblique) de Tibériade. Mais il y eut une autre massore, élaborée à Babylone, et Johanan ben Zakkai était le disciple du rabbin Hillel venu de Babylone : la prépondérance prise par la Mésopotamie, d'oùétaient d'ailleurs venus les réformateurs Néhémie et Esdras, est mise en valeur par le fait que, si le noyau du Talmud, la Mishna, est bien rédigé en hébreu, le commentaire de la Mishna, la Gemara, l'est en araméen ; le Talmud existe d'ailleurs lui-même en deux recensions, celle de Jérusalem et celle de Babylone, plus développée, qui devint la plus répandue. En 219, Abba Arikha, disciple du rabbin palestinien Juda ha-Nassi ("le Prince") à qui on doit l'initiative du Talmud, installe une académie à Soura, en Mésopotamie ; une autre académie célèbre se trouve à Nehardea et se fixera ensuite à Poumbeditha. Ce sont les principales écoles qui, compilant les opinions des rabbins, fixent le Talmud : on trouve dans ce dernier à la fois la Halakha, ensemble des préceptes qui régissent la vie de tous les juifs "rabbanites" (le Talmud étant rejeté par les karaïtes), et la Haggada, ensemble de récits légendaires et non normatifs qui expliquent les silences ou les énigmes de la Bible.

C'est également à Babylone que sont mis par écrit les Targums ("traductions" de la Bible en araméen) et que sans doute, prennent, naissance les premiers traités mystiques de la kabbale (littérature des Hekhalot). Les Juifs de la diaspora mésopotamienne n'ont pas été affectés par les turbulences de la Palestine : fidèles soutiens des Séleucides, ils n'ont connu aucun problème sous la domination des Parthes Arsacides (IIe s. av. - IIIe s. apr. notre ère) ; au Ier siècle, les souverains de l'Adiabène (ancienne Assyrie) se sont même convertis au judaïsme. Défenseurs d'une orthodoxie mazdéenne stricte, les Perses Sassanides (IIIe-VIIe s.) sont moins tolérants, mais la persécution était plus grande dans les territoires chrétiens soumis à Byzance : c'est une des raisons du bon accueil qui fut fait aux Arabes, de la Syrie au Maghreb (où les Juifs avaient été protégés par les Vandales, qui étaient des "hérétiques" ariens).

Les musulmans reconnaissent les Juifs (ainsi que les chrétiens et les mazdéens) comme "peuple du Livre" : à ce titre, ils sont soumis à un statut d'infériorité légale et assujettis à un tribut, mais, s'ils sont méprisés, ils ne sont pas persécutables. Cette condition de dhimmi fut généralement respectée, sauf dans des périodes de crise : en dehors de la dynastie berbère des Almohades (XIIe-XIIIe s.), seul le chiisme iranien, au XVIIe siècle, pratiqua une intolérance officielle dont les Juifs eurent à souffrir, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y eut pas de persécutions populaires. Mais la contribution des Juifs à la civilisation musulmane est grande : une partie de l'œuvre de l'Égyptien Saadia Gaon (Xe s.), grand adversaire du karaïsme qui prit naissance en Irak (VIIIe s.) avant de se répandre en Palestine, et la plus grande part de celle de l'Espagnol Maïmonide (XIIe s.) ont étéécrites en arabe avant d'être traduites en hébreu.

Le cas de la péninsule Ibérique est particulier : les Juifs ont eu à souffrir de l'Espagne wisigothique, et la civilisation arabo-andalouse apparaît souvent comme l'âge d'or des excellentes relations entre Juifs, chrétiens et musulmans. Des Juifs ont servi d'intermédiaires à la traduction de l'arabe en latin des œuvres philosophiques et médicales qui ont bouleversé la culture du Moyen Âge européen. Mais ils sont les victimes de la Reconquista chrétienne, et leur condition se dégrade à partir du XIVe siècle : désignés à la vindicte populaire par les dominicains et les franciscains, soumis comme "hérétiques" à l'Inquisition (instaurée en 1481), les Juifs sont expulsés d'Espagne et du Portugal à la fin du XVe siècle ; beaucoup, notamment des Portugais, se réfugient dans les provinces du Nord (Provinces-Unies), mais la plus grande partie, directement ou en passant par l'Italie, gagne le Maghreb. C'est en Orient que se développe la néo-kabbale d'Isaac Louria (à Safed, en Palestine), et qu'éclatent les crises du sabbatianisme (Sabbataï Zevi était un Juif de Smyrne) et du frankisme (cette dernière atteignit l'Europe de l'Est par les pays musulmans limitrophes) aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Le sort des Juifs en terre d'islam se dégrade à partir du XIXe siècle, du fait des problèmes économiques, sociaux et culturels éprouvés par un Empire ottoman confronté à une modernité agressive, du fait aussi de leur position jugée " intermédiaire" entre les musulmans et les chrétiens qui, eux, sont soutenus par des puissances coloniales : de médiateurs relativement favorisés, les Juifs deviennent alors, en plus des ennemis héréditaires, des traîtres... et peuvent être victimes des musulmans "orientaux" comme des chrétiens "occidentaux". Cet état de fait est aggravé par le "pro-germanisme" des Turcs, puis de certains chefs arabes lors des deux guerres mondiales : le développement d'un nationalisme arabe, d'abord relativement indifférent au sionisme, relaie une propagande antisémite qui s'est généralisée après la création de l'État d'Israël, où nombre de Juifs orientaux sont venus s'intégrer dans un modèle "ashkénaze" auquel ils ont parfois eu du mal à s'adapter.

Les communautés extrême-orientales

Le devenir des "tribus perdues", celles de l'Israël pré-exilique, qu'on a cherchées un peu partout et notamment en Amérique, a excité les imaginations... C'est à ces tribus perdues que, dans leur propre imaginaire, se rattachent les communautés juives extrême-orientales. Des juifs semblent s'être établis sur le continent indien dès le IVe-Ve siècle de notre ère, sur la côte de Malabar ; ils se regroupent à Cochin (dans l'actuel Kerala) au XVIe siècle pour échapper aux musulmans. Sous la domination successive des Portugais (XVIe s.), des Hollandais qui les utilisent comme interprètes (XVIIe-XVIIIe s.), et enfin des Anglais, ils se différencient eux-mêmes entre "blancs", "bruns" et "noirs", ce qui n'est pas sans rappeler le système des castes. Établis dans la région de Bombay, les Bné Israël ne semblent avoir pris ce nom qu'après les invasions musulmanes ; ils se spécialisent dans le pressage de l'huile. Au XVIIIe siècle enfin, des "Juifs de Bagdad", en provenance d'Irak, de Syrie et du Yémen, s'installent en Inde pour commercer ; ils se fixent à Bombay, à Calcutta et également à Singapour au XIXe siècle. En Chine, la présence des Juifs est attestée dès le VIIIe siècle : des communautés, sans doute venues de Perse, s'établissent à Kaifeng (dans le Henan) ; au XVIIIe siècle encore, le père Ricci et ses confrères jésuites les rencontrent. Aussi bien en Inde qu'en Chine, les Juifs ne subissent aucune discrimination des populations locales, même s'ils sont parfois victimes des musulmans ou des chrétiens. Leurs communautés sont remarquablement assimilées, au point que cela met leur spécificité en danger : la religion est difficile à maintenir "pure" lorsqu'il n'y a pas de contact avec l'extérieur - de ce point de vue, la disparition des jésuites en Chine fut suivie de la disparition de communautés qui n'étaient plus soutenues spirituellement, même par ces "frères ennemis". Il y eut parfois un syncrétisme (mélange de doctrines religieuses) en Inde, mais la présence étrangère due au colonialisme permit à ces communautés de demeurer juives jusqu'au XXe siècle, et beaucoup émigrèrent alors en Israël.

Le judaïsme occidental

L'édit de Caracalla (212) accorde aux Juifs, comme à tous les sujets libres de l'Empire, la citoyenneté romaine. Le droit romain continue à être appliqué après les invasions germaniques et, s'ils ont à souffrir de l'hostilité des autorités chrétiennes, les Juifs n'en sont pas moins protégés par l'opinion de saint Augustin, qui veut qu'ils demeurent comme peuple témoin de la vérité du christianisme. Établis dès l'Antiquité en Italie, en Espagne et en Gaule, les Juifs sont surtout commerçants, jusqu'à ce que cette activité leur soit interdite. Durant le haut Moyen Âge, installés aussi bien dans les villes que dans les campagnes, ils ne se distinguent guère des chrétiens et vivent avec eux dans un bon voisinage qui alarme parfois les autorités ecclésiastiques, lesquels redoutent leur influence religieuse. Les Juifs maintiennent l'étude de la langue sainte, mais parlent la langue du pays où ils vivent, comme le montre l'exemple de Rashi ; ceux de ses coreligionnaires qui accompagnent les Normands en Angleterre après 1066 parlent également français. Les communautés établies en Rhénanie, elles, parlent le yiddish, langue germanique (qui s'enrichit de mots hébreux et, plus tard, slaves) à laquelle leur expansion donnera une grande importance culturelle.

La situation se dégrade pourtant dès cette époque : la ferveur des croisades entraîne des exactions populaires contre les supposés ennemis du Christ, qui sont dans l'ensemble protégés par la hiérarchie ecclésiastique ; des massacres et des conversions forcées ont lieu. Les croisades ne sont que l'aspect religieux d'un bouleversement économique qui voit une transformation et une "christianisation" de la société : le temps où l'on construit des cathédrales est aussi celui de la constitution de guildes dont le caractère confessionnel exclut les Juifs comme autant de concurrents ; ce mouvement les cantonne dans l'exercice d'activités économiquement nécessaires mais théologiquement condamnées, telle l'usure : cette spécialisation, tout en isolant les Juifs des activités "normales", donc en accentuant leur coupure d'avec la société chrétienne, les expose par surcroît au mécontentement populaire qui frappe ceux qui font commerce de l'argent et s'enrichissent "sans travailler". D'autres activités traditionnelles des Juifs, comme la médecine dans le midi de la France, leur deviennent interdites car elles supposent une familiarité avec les chrétiens qui apparaît dangereuse. Le XIIe et le XIIIe siècle, pendant lesquels les Juifs font preuve d'une intense activité culturelle (kabbale en Provence et en Espagne) et religieuse (mouvement piétiste des Hasidé Aschkenaz, qui exaltent le martyre, en Allemagne), sont aussi la période des grandes hérésies chrétiennes. Dénoncés avec les cathares et les vaudois au quatrième concile du Latran (1215), les Juifs sont astreints par Louis IX au port de la rouelle, et ils sont victimes de la peur et de la diabolisation de l'hérésie qui se répand en Europe du XIVe siècle (Grande Peste) au XVIe siècle (procès pour sorcellerie) : des accusations aberrantes de meurtre rituel sont régulièrement portées contre eux. Le XVIe siècle voit la généralisation des ghettos (du nom d'un quartier de Venise), c'est-à-dire non pas la création de quartiers propres mais le confinement obligatoire dans des quartiers interdits d'accès aux chrétiens.

En dehors du cas particulier de l'Espagne wisigothique, le haut Moyen Âge n'avait pas connu d'antijudaïsme systématique ; la fin du Moyen Âge voit un mouvement général d'expulsion des Juifs : les gouvernants ont une politique ambiguë qui vise surtout à tirer le plus de profit de ces populations vulnérables. Au XVIe siècle, les Juifs deviennent de plus en plus une population "sans terre", au moment même où la Réforme aboutit à une "régionalisation" de la religion qui conduira de fait à une intolérance religieuse dont, au siècle suivant, seront victimes les protestants en France ou les catholiques en Angleterre. Ce problème aboutit, dans les consciences aussi bien chrétiennes (Guillaume Postel, au XVIe s.) que juives (Manasseh ben Israël, XVIIe s.), aux premiers "projets" de retour des Juifs dans la terre d'Israël.

L'antijudaïsme théologique est ravivé par les ordres mendiants, proches du peuple. Et les problèmes de "pureté du sang" que pose à certains chrétiens espagnols la présence, après l'expulsion de 1492, de juifs convertis de force et suspectés de pratiquer en secret (les marranes) annoncent déjà un véritable antisémitisme. Parallèlement, les soucis de la Réforme religieuse amènent une meilleure connaissance de la religion juive (l'hébraïsant chrétien Jean Reuchlin défend le Talmud contre les dominicains de Cologne, au début du XVIe siècle), puis une prise de conscience des liens entre ces "témoins" d'une religion supposée caduque et les origines chrétiennes (traduction par Richard Simon, en 1674, des Cérémonies des Juifs, que le rabbin italien Léon de Modène avait décrites un demi-siècle auparavant). Certains philosophes du XVIIIe siècle sont hostiles à un peuple sans attaches, que l'on rend responsable des superstitions contre lesquelles luttent les Lumières ; l'idée de tolérance, qui profitera aussi aux Juifs, a pourtant été répandue par les Lumières...

Les philosophes ont souvent été attirés par les souverains d'Europe orientale, et c'est justement en Europe orientale que les Juifs émigrent à partir du XVe siècle : en Allemagne (où l'Empire romain germanique est très morcelé) ou aux Pays-Bas, ils profitent d'une tolérance de fait ou de droit ; s'installant en Bohême, en Lituanie, en Pologne, ils bénéficient au XVIe siècle d'une structure particulière, le shtetl, bourgade proprement juive où ils jouissent de la protection des seigneurs. Toutefois, leur situation se dégrade au XVIIe (guerre de Trente Ans, révolte des cosaques de Khmelnitski) et au XVIIIe siècle (partition de la Pologne, qui les met sous la domination de la Russie, où ils sont interdits) : malgré la présence de "juifs de cour", riches et puissants, une grande partie de la population se paupérise. C'est en Pologne que se développe le hassidisme, tandis que l'Allemagne voit à la même époque l'essor des "Lumières juives" (la Haskala).

Paradoxalement, les acquis de la Révolution française (droits civiques accordés par l'Assemblée constituante) puis du premier Empire (création du Consistoire sous Napoléon, mais aussi restriction des droits civiques en 1808) se retournent contre les Juifs, avant que des théoriciens conservateurs fassent d'eux la source de tous les troubles, lorsque cet "héritage" est remis en question. La situation des Juifs s'aggrave en Allemagne au XIXe siècle, et les pogroms (massacres "populaires" souvent contrôlés) se généralisent en Russie. Dans le même temps se développent les théories racistes qui aboutissent à l'antisémitisme "de droite", tandis que l'assimilation des Juifs au grand capital ("justifiée", de façon très sommaire, par la réussite de quelques grandes familles comme les Rothschild) entretient l'antisémitisme "de gauche" (Proudhon) : alors que la majorité des Juifs français semble opter pour l'assimilation (qui entraîne souvent une déjudaïsation), l'affaire Dreyfusébranle les consciences mais ne remet pas fondamentalement en cause la confiance dans la République et ses idéaux. Il est toutefois indéniable qu'elle apporte un soutien au sionisme (Theodor Herzl) qui se développe parallèlement aux différentes "questions nationales" préludant au premier conflit mondial. On observe à l'époque un débat très vif quant au statut de la langue hébraïque, promue en Europe puis en Palestine par Eliezer ben Yehoudah contre ceux qu'horrifie l'emploi profane de la langue sainte et qui recommandent l'usage du yiddish.

Les difficultés économiques et religieuses entraînent, au XIXe siècle, un vaste courant d'émigration vers les États-Unis, et le souci des communautés orientales qui accompagne l'expansion coloniale des pays européens voit à la même époque la création d'instances internationales comme l'Alliance israélite universelle (1860), qui favorise la création d'écoles et s'inquiète des conditions de plus en plus difficiles que connaissent les Juifs des pays arabes. Parallèlement à la mise en place d'un orientalisme "laïc" auquel participent les historiens Juifs, la communauté juive reprend conscience de pans de son histoire méconnus (la tradition mystique) ou complètement oubliés (redécouverte des communautés samaritaines et karaïtes).

Au début du XXe siècle, le judaïsme occidental représente la très grande majorité du judaïsme mondial (7 millions de personnes sur 7 millions et demi). Mais il connaît les incessantes et souvent violentes campagnes d'organes de presse d'extrême droite, mollement condamnées par l'ensemble de la hiérarchie romaine et timidement contestées par les instances protestantes dans une Europe majoritairement chrétienne. Cette situation, aggravée en France par les lois du gouvernement de Vichy, trouve un tragique aboutissement avec les persécutions de l'Allemagne nazie. Le judaïsme est frappé de plein fouet par la catastrophe de la Shoah, qui fait 6 millions de victimes. La politique d'extermination nazie est toutefois refusée par de rares pays (les pays scandinaves, la Bulgarie) et, pendant un certain temps au moins, par l'Italie fasciste. Après la guerre, nombre de Juifs rejoignent l'État d'Israël, notamment ceux qui vivent dans des pays où l'antisémitisme est demeuré vivace, comme les pays de l'Est (persécutions staliniennes contre le "cosmopolitisme" puis le "sionisme" ou l'"américanisme" des Juifs soviétiques).

Voir articles complémentaires :
Juifs - L'art juif


Hébreux




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